dimanche 30 juillet 2017

Digression : D'Humeur à Rire, L'Artisan parfumeur



Prue Stent






                 Me voici donc au pied du mur. Après avoir savouré avec délice les quatre premières humeurs je me résous enfin à mettre le nez sur celle qui me fait un tantinet peur : ici on parle de gourmandise et ce n'est vraiment pas un aspect que j'affectionne en parfumerie ! Je trouve ça atroce au nez et ridicule à l'esprit. Ces odeurs me semblent une mascarade : se parer d'une chose rassurante et régressive, effaçant toute part animale et sensuelle, tout en étant dans l’exubérance d'un moment. C'est terriblement passif agressif en fait. Mais puisque c'est Olivia Giacobetti qui est aux commandes je me raccroche à l'espoir que cela ne peut être absolument atroce. Et puis il y a une sorte de cohérence dans la factures de chacune des humeurs, la patte du nez sans doute. Donc cela doit même être intéressant de voir ce qu'un "gourmand" donne par ce biais ! Hourra !!!  J'ai trouvé mon courage : je vaporise...

D'Humeur à rire : " Un parfum rose. Comme le rose qui monte aux joues quand le fou rire vous prend. Rose vif. Comme un malabar, comme les rayures des bonbons anglais. Comme les ongles peints quand on a douze ans. Gai comme un tour à la fête foraine. Acidulé comme l'odeur de la pâte à ballon malaxée entre les doigts. Claquant comme une bulle de chewing gum sur le nez de son voisin.
    Une bonne raison de le porter : pour éclater de rire, parce que la bonne humeur c'est contagieux. Pour faire des facéties, des blagues idiotes et laisser libre cours à sa fantaisie. "
Extrait du livret accompagnant le coffret.



            C'est un paquet de Malabar qui claque sous le nez. Le chewing-gum ultra chimique aux mille fruits informes est là, très réaliste et sans froufrou supplémentaire (ouf...?...). Je peux esquisser un sourire oui, l'odeur et les souvenirs font leur boulot. Mais très vite le malabar tente de se trouver des amis, de se mouvoir. Il ne fait que se dandiner maladroitement, s'accrochant à un tronc fantôme de réglisse et d'anis, il se noie dans une mare protéiforme où fraise et banane se disputent la place, tentant parfois un allié coté jasmin ou framboise. Je souris beaucoup moins.
           Si le départ de bonbon ultra chimique masque de sa radicalité la perspective gourmande de la chose, cela ne dure pas. On arrive bien vite à ce sucre guimauvesque, gourmand et écœurant. D'abord c'est l'aspect sucre glace d'une guimauve à la fleur d'oranger qui se pointe. Vite rejoint par un relent de loukoum  rose/pistache. La tentative de faire pétiller ce gloubiboulga par un aspect coca cola ne prend pas : limette et cannelle s’ankylosent dans un glucose qui commence à cuire au fond de la casserole. Une sorte de cherry coke à la vanille se réveille.  Ça coule sur une pauvre pomme d'amour dont le caramel ressemble à une fadasse nougatine périmée.
             Entre deux chapitres du livre "comment retourner un estomac sans passer par la case gorge profonde" une sorte de regain de bon sens tente une approche : un solvant semble vouloir faire place nette. Mais malheureusement il ne sort de la bombe qu'une laque Elnett  à la rose sucrée qui finit en gel fixant à la noisette.
             Tout au long de l'évolution je reste sur le qui vive : ce sont les passages entre "les notes" qui sont les plus durs, comme si l'on ne pouvait éviter les heurts de récifs sournois. Chaque instant où une chose apparaît est un mauvais moment à passer. Le temps que cela se fonde. Malheureusement quand la place est trouvée le siège commence et le sucre s'accumule.
              Pourtant cette Humeur n'est pas atrocement "lourde" à proprement parler (et il y a bien pire dans les gourmands). Je n'aime pas les notes soit mais je dois bien reconnaître qu'elle reste un poil "aérée". Mais j'essaie peut être de trouver un truc à dire histoire de faire croire que je suis bonne foi, car en fait d'aération, toute la légèreté se trouve dans la barbe à papa.  Au final on a juste l'impression d'être au milieu d'une usine de malabar, flanqué d'un vieux guide aux cheveux roses trop laqués qui tripote des restes de gâteau au fond de sa poche. Et on ressort en achetant une guimauve rose et violette à rayures oranges parsemée de trois pignons de pin, et une briquette de lait fraise. Non mais si en fait, c'est dégueulasse...

             Je suis assez étonnée par cette Humeur à Rire. Je me retrouve face à un parfum totalement hors contexte. Il ne va pas avec le reste des humeurs. Le fil de facture entre les quatre précédentes humeurs était un régal, une maîtrise poétique qui savait passer de la douceur à la brusquerie. Là c'est juste un bloc qui sert la soupe qu'on lui a demandé.  Si le départ peut être drôle par son univers et nous ramener à nos douze ans, l'évolution tend vers une sorte de petasserie vieillissante se drapant dans les gourmandises pour ne pas être découverte.



Brazil, 1985.




P.S : Je file nettoyer mes narines et m'asperger d'Humeur à Rien... D'ailleurs, Olivia, mon flacon ne tient plus qu'à quelques ml, si tu avais des réserves à partager, je te chérirais encore plus, merci !!!

P.P.S : Et si quelqu'un veut cette Humeur à rire je suis toute ouïe pour un échange...






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