mardi 3 février 2015

Digression : Miel de Bois, Serge Lutens

 Abeille en vol et son récolteur de pollen, 3dvert  


     Une sculpture s'anime, un philtre mi organique mi végétal coule sur la matière et l'éveille à la vie. Si Midas changeait du bout des doigts toutes choses en or, Miel de Bois lui, transfigure la peau en idole païenne, précieuse et animale. Midas faisait mourir, Miel de Bois donne vie.
   
      Lors de sa sortie en 2005 ce sont pourtant deux mots bien éloignés de cette magie qui se sont disputés la priorité : vespasienne et pliz. Urine et ersatz d'encaustique. Bon, voici donc en course une fois de plus le mystère pas si mystérieux des fleurs qui sentent la pisse. Le jeu sur cette frontière est intéressant, je peux sentir de quoi il s'agit, mais pipi et fleur miellée sont bien différents : tentons la tête dans chacun et reparlons en a posteriori un de ces jours...
     Quant à "l'encaustique", la cire est bien là, mais comment réduire une merveille complexe à ce stéréotype domestique pavlovien ??? Tout ce qui est blanc et poudreux n'est pas forcément de la neige... Non, la partition de Serge Lutens et Christopher Sheldrake est bien au delà de ce flirt simpliste.
 
     C'est une histoire d'iris raide qui cercle un arbre vigoureux. Le bourdonnement d'un essaim sur l'écorce laissant une trace cireuse et duveteuse. Une foret acre gorgée de pollen, entre terre et rai de soleil.
      Le miel ne cède rien à la gourmandise. Il reste rude et sauvage. Pourtant quelque chose s'immisce... Une idée de confit boisé, un fût de chêne oublié, à la fois rugueux et poli, le souvenir vague d'une liqueur colorant les parois. En fait c'est à la cire que ce miel cède :  le liquide a fini de couler au fond de la gorge, les doigts broient maintenant les rayons cireux.
     Et cette cire, pleine des bois précieux où elle s'est accrochée, imprègne le corps, le pénètre. Le parfum devient une peau vivante, patinée. Il se fond sur la peau ? Non, la peau exsude Miel de bois, comme si cela lui était naturel. C'est la peau qui transpire et ses fluides sont Miel de Bois. Cet effet est fascinant.
      Une animalité brute et tranquille s'installe. La rudesse apre du miel rustique qui flirtait avec la goutte d'urine se mue en trace de sueur boisée. Le butin des abeilles s'adoucit et blanchit, laissant une fine pellicule onctueuse sur la peau sèche.

     J'ai différents flacons de cet élixir charnel (le cul-cul praliné de Guerlain m'a tuer, pardon...). Ceux datant de 2005 -sa sortie- sont en effet extrêmement raides avec l'effet vespasienne qui pointe. Taillés au silex, alvéoles et bois sont presque agressifs en tête. C'est sans concession, la nature brutale explose. Lorsqu'il se pose il reste sombre, presque ombrageux. Mais l'osmose avec la peau est fabuleuse : c'est avec lui que la patine prend le mieux.
     Les versions plus récentes (je n'en ai pas après 2010, il faut que j'y remédie !) présentent un aspect plus couture et ciselé. "Beaucoup plus beau" d'une certaine façon. Plus délicat et avenant. Du concept païen on passe à la haute couture perverse. Le miel prend sa part sur l'encaustique, les meubles cirés deviennent plus précieux, moins rudimentaires. Le final est moins spectaculaire : le parfum se fond sur la peau sans cette impression que la peau est Miel de Bois. Il reste sublime sans l'ombre d'un doute.

     Avec Muscs Koublaï Khan, Miel de bois fait partie des Lutens dont je ne peux me passer (pour le plaisir de leur simple évocation j'ajoute Iris Silver Mist et Chêne ). Extraordinaire. Tout simplement merci pour ces tableaux Monsieur Serge...