mercredi 27 février 2013

La belle et la bête ?

    Deux de plus.
    Et que vois-je sur les tableaux d’Amélie ? Castoréum et costus… A l’instar de Pépette qui fond lorsqu’un bellâtre lui dit qu’elle est belle comme quelque chose qui brille, je tombe amoureuse rien qu’à l’évocation de ces deux mots !!!
   Seulement je sens qu’Amélie n’est pas très enthousiaste et d’ailleurs à peine mon exclamation de midinette passée elle me dit : " ha non, je ne suis pas contente ! " .
     Dans ces cas là c’est toujours bien d’avoir une bonne copine qui vous met en garde contre le bad boy trop mielleux ou trop paumé me direz vous… Et en effet ces deux là se révèlent l’un trop sucré et l’autre pas assez lavé du tout ! Déconfite, dépitée et réfrénant un fuckingfuck pourtant fort à propos, je descends donc de mon nuage de fantasmes…

     Le parfum est chimie et cette fois ci l’agencement a joué des tours : quelques jours qui s’écoulent et voici le cavalier du n°8 transformé en loup garou et la femme fatale du n°7 en Barbie Cruella ! Oui il faut du temps, et parfois le repos d’un jus dévoile un nouveau visage inattendu, c’est sa part de mystère, une petite fenêtre indomptable.
Baby Jane et son castoréum...

    Toutefois Barbie Cruella se révèle plutôt confortable avec son coussin de musc blanc "cosmétisé" et son froufrou ambré pas si envahissant… Mais il me fait penser, ce qui est très exagéré j’en conviens, à certains de ces jus à la mode qui me donnent l’impression de s’adresser à une femme qui retombe en adolescence : sophistiquée mais trop déguisée…

    Et son castoréum ne sauve pas le jeu, il fait juste ici l’effet d’une fourrure passée à la teinture mauve histoire d’être so féminine…  Je pourrais même y apercevoir Baby Jane en poussant le bouchon excessivement loin !

     Et le Loup garou ? J’aime la pleine lune et il me fascine ce n°8. Ça ne veut pas dire que je l’aime, juste que je me noie avec délice dans cette transpiration animale, ce sébum collé de poussière, le poil de la bête surgie des ruines. Son départ est totalement jouable, c’est le bouleau, le cuir qui prennent le dessus, tamisant beaucoup les fleurs, vraiment joli, avec un aspect pierreux et gras à la fois. Seulement ce n’est pas ce que je désire ici.
     Puis ensuite le costus devient ingérable : il explose et corrompt toute la trame du parfum, il ravage tout autour de lui. C’est impressionnant. Ce n’est plus un parfum… Mais comme c’est bon de le respirer !!! Un spectre bestial sorti d’un vieux grimoire, éparpillant les reliques d’un bouquet desséché au passage...

   

    Si Barbie Jane ne m’a pas inspirée, j’ai un pincement pour le bad boy lycanthrope avec qui je viens de vivre une expérience des plus délicieuses ! Je sais qu’il n’est pas pour moi, mais je penserai souvent à lui, et j'y regouterai de temps en temps… 

...Wolf Man et son costus


    Et donc me voici à nouveau partie dans d’interminables et excitantes séances olfactives, comparant et dépeçant mes 7 versions de Bucéphale (Oui, il n’y a pas de n°1…).
    D’ailleurs à force de me voir le nez dessus si souvent, un proche m’a dit que j’allais finir par ne plus savoir si j’aimais ou non, que tant disséquer allait ôter toute spontanéité à mes émotions… Mais apercevoir un Bleu Klein ou décortiquer un Cangiante n’enlève rien au ressenti. Méthylionone et violette ne changeront pas mon goût, quoi que l'on y mette la reconstitution d’un muguet n’en sera pas moins de l’herbe régurgitée par le chat et l'isobutyl quinoléine me fera toujours frémir !!!

    De toute façon je me sens bien avec ces ébauches, les liens sont tissés, je le sais.

   
          
 

mardi 19 février 2013

Variation en trois odeurs

     Me voici avec trois nouveaux opus entre les mains : Bucéphale 4, Bucéphale 5 et Bucéphale 6.
     Lorsque j’ai vu Amélie afin de récupérer les fioles, mon nez était prêt à l’attaque et ma langue prête à débattre. Seulement voilà j’ai été incapable d’avancer le moindre mot constructif cette fois ci…
   J’absorbais ces nouvelles versions, attentive, à la fois détaillant les matières et me laissant porter par les émotions. Mais en dire plus que "celle-ci me plait" ou "celle là beaucoup moins" était difficile, voire artificiel.
   J’étais persuadée que nous allions passer un long moment d’échanges, finalement j’ai bien été obligée de constater que je ne pouvais pas sortir de moi toutes ces impressions sans les avoir digérées, sans avoir eu un moment intime avec elles : j’avais besoin de temps pour comprendre, un temps seule pour me les approprier, être certaine que rien ne parasitait mes sensations, mes perceptions.
   J’ai donc presque tout gardé pour moi, les mots et les tableaux avec les notes et lignes directrices de chacune des versions afin de pouvoir tout sentir sans aucun préjugé…

    Enfin chez moi et enfin je me vautre dans les jus ! Je n’ai que deux mains, et le parfum est puissant, jouer au Genou de Claire n’est pas une bonne idée, je fais un choix : 4 et 6. Car si je n’ai pas dit grand-chose j’ai en revanche immédiatement su que le 5 avait peu de chance d’avoir mes faveurs.
    Peut être justement aurais-je du le tester en premier, qu’il ne pâtisse pas de comparaison, mais non, vraiment, je sais déjà que nous n’irons pas loin lui et moi : il est trop floral ! Je retrouve cette impression de jasmin malabar, moindre toutefois, mais surtout il me manque l’animalité, il sent bon mais me laisse froide…

   *Découverte du n°4 sur ma peau : comme je l’aime ce départ décidément ! L’épine mentholée est bien aplanie mais il reste un accro, c’est comme passer ses doigts sur une surface poncée mais où subsiste une légère bosse. Il me semble plus ciselé et fluide, j’aime son lys mais je trouve celui-ci un peu trop tamisé sous un aspect daim velouté… Puis il y a un fond qui me dérange : une chaleur qui friserait presque du coté de la vanille, un encens trop ambré. Un labdanum que ma peau refuse. Ce 4, fort en apparence est finalement trop tiède, il respire mais n’exsude pas, il a une présence trop lisse. Le box a été bien trop récuré, le foin est bien trop frais, et le lys bien trop éloigné.

    *Découverte du 6 sur ma peau : ce même départ mais qui déjà annonce une terrible dose d’assurance. Il n’y a plus rien de lisse, c’est du baroudeur qui entre dans la pièce ! Justement avec un peu trop de virilité… Si le cèdre est délicieux il y a une ombre qui le noie : du Pin ! Je suis persuadée qu’il y en a et ce n’est pas du tout le bon décor. Mais alors quel joli cuir, fumé et patiné, et cette sensation de peau, de salive séchée, d’arrière gorge, un voile d’iris acre aussi me semble-t-il… Tués malheureusement par ce pin trop fusant, trop présent. Et puis là encore le fond est trop ambré/chaud à mon gout.

    Je passe plusieurs jours à retourner toutes les notes, à les agencer dans ma tête, à les entremêler virtuellement. Puis je me décide à faire ce que j’adore faire avec quelques-uns de mes parfums: je mélange ! Certains pensent que cela relève de l’hérésie, de la trahison vis-à-vis d’une œuvre artistique, que cela ne peut avoir qu’un atroce résultat… Et bien c’est un joli manque d’imagination et un bel exemple de dévotion mal placé. Juxtaposer une touche de L’Eau du Fier à Violetta est une pure merveille, tout comme un cou parfumé de L’Heure Promise frôlant une étole empreinte d’un vieil extrait My Sin…
    Enfermer l’art sous une cloche de verre est terriblement déprimant et réducteur, et puis je ne touche pas à l’original après tout, ce ne sont que des flacons, ouvrir une soupe Campbell n’est pas éventrer Andy...
    Là j’y vais carrément, l'un sur l'autre,  je veux voir ce que ça donne, dans tous les sens. Je découpe encore des carrés de tissus et je vaporise : 4 et 5, puis 5 et 4… 6 et 5, puis 5 et 6… J’ajoute de la fleur où je n’en trouvais pas assez en fait. Et puis ma peau se prête au jeu aussi, j’en ai partout et j’aime sentir ces parfums !
   Tous ces essais je les rapporte à Amélie, tout ce que je n’ai pas su lui dire je lui écris : je l’abreuve de mails durant plusieurs jours, plusieurs fois par jour, retrouvant toujours un détail oublié, faisant des pauses pour repartir à zéro !

   Et finalement nous en arrivons à cette envie : la fluidité élégante du 4, relevée par la témérité sale du 6, le tout ourlé d’un lys plus déclinant et enveloppant sans être central...


lundi 11 février 2013

Nez à Nez


    C‘est la première fois que je travaille sur un projet créatif avec une autre personne, cette sensation est curieuse, pleine de nouveautés, d’inconnues et de questions aussi : allons-nous nous entendre, nous comprendre ? Une idée à deux têtes, voilà un joli monstre de légende à venir !

    Je passe la porte et fais enfin connaissance avec une jolie jeune femme souriante et chaleureuse : Amélie Bourgeois.

Nous parlons un peu de nous et je découvre le parcours qui l'a mené aux odeurs : lors de ses études en cosmétologie le parfum était " le truc que tu rajoutes ", mais pour elle ce fut le trésor, l’essentiel qui fait vibrer, l’expression créative à affirmer. Elle a donc plongé corps et ame dans le jus et aujourd’hui c’est un nez indépendant qui a monté sa propre boite, Flair ( Bucéphale et Flair, une belle association déjà ! ), elle crée pour des marques mais aussi pour des particuliers avec des partitions sur mesure... Et je viens de remarquer qu’aujourd’hui elle portait Féminité du Bois. C’est peut être idiot mais si j’avais senti le dernier Lady Gaga, j’aurais sans doute eu un frisson d’angoisse !!!

    " Tu aimes ? " cette question fut la première et chacune l’avons posée à l’autre. C’était très important pour moi de savoir si le travail était en accord avec ses goûts, si elle trouvait l’histoire intéressante, si l’univers lui parlait... Amélie fait du cheval : l’odeur de la peau, du box, de la sellerie, oui ça lui parle !!!
    Flacons et touches prêts à être dégainés, Amélie me présente d’abord le panneau d’ambiance qu’elle a composé pour se fondre dans l’atmosphère : les images comme décor, sa porte d’entrée vers le parfum, sa vision à elle. C’est ainsi qu’elle travaille. Et ce que je vois me plaît. C’est très intéressant de découvrir ses mots traduits en images, dans ma tête ce ne sont pas les mêmes mais pourtant elles se répondent parfaitement, oui c’est ça aussi…


   Pour plonger au cœur du sujet, je lui résume d’abord mes impressions sur N°2 et N°3. Maintenant nous sommes prêtes à développer en temps réel, nez à nez…
    N°2 n’a droit qu’à trois minutes de gloire : menthe, fluo, fraise, trop floral, il touche surtout ce que je ne n’aime pas, ce que je ne veux pas. Mais cela aussi est une part importante : lorsque je dis " on oublie ", Amélie dit " pas moi, c’est utile pour la suite "
    N°3 vient et je pointe, pile là, la fameuse note mentholée commune aux deux versions, l’épine dans ce départ qui sans cela me plaît tant. Amélie hoche la tête  " oui je vois tout à fait, un ajustement à travailler… " . Là j’aimerais être dans sa tête : je peux entendre les cliquetis des engrenages se mettre en branle !     

    Nous suivons toute l’évolution du parfum, je la ponctue de " Ha là tu vois il y a un effet X qui me plaît mais la note Y dedans me chiffonne " et Amélie de répondre " En fait c’est Z qui donne le coté Y pas X " . J’apprends, j’apprends !!! Je souligne cet effet cave à cigare que j’adore, cette rugosité trop sèche qui manque de féminité, cette étrange rondeur de céréale tourbée, ce bouleau fumé et cuiré à point… De chaque élément senti je tente d’extraire mes sensations.
Thymus Vulgaris. Herbier du musée d'histoire naturelle suédois
   
   Puis finalement Amélie me montre une synthèse des notes : évidemment, avec des noms, c’est beaucoup plus simple de m’exprimer, et je tombe amoureuse de ce thym blanc que j'étais incapable de nommer, fusant, "terpénique", camphré... Entre les notes que j'avais perçues et celles totalement floues, je peux maintenant être plus précise et reconnaître les choses pour ce qu'elles sont. Comme un voile soulevé, tout devient limpide.
    Mais le fil technique s’épuise enfin dans ma tête et tout revient au fantasme : oui on peut forcer sur le coté pas sage, sale, rien ne me fait peur, du cheval suant au lys pourrissant, c’est délicieux !
    Les mots d’ordre au final : une bouffée narcotique pour en avoir plein le nez, la palpitation charnelle de la peau du cheval, le souvenir d’une étreinte pour l’apaisement des corps.

    Notre rencontre s’achève, j’ai appris de chaque minute et le curseur excitation/impatience ne cesse de monter…
    Et puis je me dis qu’une histoire de cheval par un nez qui monte, ça ne peut que marcher…

vendredi 1 février 2013

Bucéphale

   Voilà, je l’ai envoyé. Sans même savoir ce à quoi devait ressembler un " brief " . Celui-ci tient-il la route ? En dessine-t-il au moins une ? L’idée voyage maintenant sans moi, à travers un autre esprit prêt à lui donner vie... Il est temps de lâcher prise ! Même si...

... Se pencher sur la pyramide olfactive d’un parfum, entre les grandes fantaisies de " rose bleue " et les maladroites tentatives de " mousse de chêne " actuelle, permet tout juste d’imaginer la ligne directive d’un jus, au mieux on peut se projeter vers un fruité, un boisé, un exotique, un floral… Mais jamais toucher ce que le dosage et l’agencement, la patte du nez, la qualité des matières, donneront. La personnalité d'un santal, l’épaisseur d’une tubéreuse, la verdeur cuirée ou le moisi coumariné d’un lentisque, l’âcreté d’un bouleau...
    Ne parlons pas des merveilleuses 5 lignes de dossier de presse qui semblent nous dire que si nous ne sommes pas transportés par un paon mystique sur la divine île de Fragette les Ursules, alors nous sommes bons pour une fessée cul nu et un abonnement à vie à Mode et Travaux, histoire de nous apprendre ce qu’est l’élégance, la vraie…
    Mais même avec la plus précise et poétique description, les mots sont si subjectifs qu’imaginer un parfum à travers eux restera toujours un pari, excitant mais risqué ! Combien de fois ai-je ainsi entrevu un jus en m’écriant " Ho ! Il faut que je le sente, c’est exactement ça que je veux " pour ensuite découvrir qu’il ne m’évoquait absolument pas la même chose ?
    Comment ce que j’ai écrit va-t-il être traduit ? C’est à la fois excitant, frustrant et angoissant ! Je verrai bien…

    Et un jour un mail arrive : " Passez quand vous voulez, il y a des choses à sentir : une version sage et une pas sage du tout ! "
   Je me précipite et enfin, entre mes mains, deux petits flacons : version 2 et version 3, nom de code "Bucéphale" Je pense alors que l’on m’a déjà un peu comprise.
    Du fantasme à la réalité il faut ici sauter : ouverture du bal, par pure logique, y aller crescendo avec la sage, même si je lorgne déjà sur la pas sage !

-Version 2 :
Une ouverture tonitruante est bien là, blanche et camphrée, térébenthine… Mais il y a un accroc : une note mentholée totalement incongrue perturbe l’ensemble. Puis d’un gros bouquet blanc émerge un jasmin aux accents malabar fraise et me donne une vision rose fluo du parfum. Vient doucement et de façon ténue un coté animal/foin, mais bien trop anecdotique et perdu dans ce contexte flashy. La part belle est faite aux fleurs, la femme est là mais pas le box, je passe très vite cette version, je sais que ce n’est pas la bonne, je ne l’aime pas. En revanche, étrangement, la ligne est là, brute et pas du tout ajustée, mais prête à être taillée.

   Ma patience à bout, j’ouvre enfin la " pas sage " .

-Version 3 :
Cette tête si jolie, exactement dans la veine de ce que j’imaginais, est toujours là, et toujours aussi cette épine mentholée. Mais plus l’ombre d’un malabar, adieu la fraise fluo et place à un caractère bien plus cuiré et fumé, foin et tabac. Bucéphale trépigne, de façon un peu trop viril et écrase les fleurs au passage, le lys n’est plus qu’un souvenir et manque terriblement, le parfum se fait trop rêche, le cavalier est là mais plus la femme ! Sauvage mais pas séducteur… Seulement cette version je l’aime bien, je pourrais la porter ! Ici c’est le bon bloc de marbre, il n’y a plus qu’à user les ciseaux.

   N°2 est totalement abandonné, je passe des jours à sentir avec plaisir N°3 sous toutes ses coutures : vaporisation touche, peau, tissus, tige juste passée sur la main… Je sniffe à longueur de temps !
… J’imagine qu’il y aurait pu avoir des tas de façons d’aborder ce que j’ai décrit, c’est assez incroyable ce premier contact si juste.

Et demain je rencontre enfin " mon nez " Amélie, à qui j’ai mille choses à dire…