samedi 14 janvier 2017

Digression : D' Humeur Massacrante, L' Artisan Parfumeur



Tatouage


         Lorsque j'ai eu le coffret entre les mains c'est elle que j'ai dégainée en premier. Je pensais qu'elle était celle qui m'avait le plus déconcertée à l'époque de la sortie, en 1998, des Sautes d'Humeur . Mais en fait non. D'Humeur à Rien m'avait déconcertée. D'Humeur Massacrante elle, m'avait plu.

        En la sentant à nouveau j'ai été réellement troublée : une impression terriblement familière m'a littéralement envahie. Pourtant il était impossible que ce parfum fasse parti de mon chemin olfactif puisque je ne l'avais jamais porté ni même "approfondi". J'ai alors à nouveau pensé à Passage d'Enfer mais ce n'était pas cela... Le travail d'Olivia Giacobetti à travers Iunx encore une fois peut être ? Ether, L' Eau Sento... Non plus. Bordel, ça sent un truc que je connais, que je porte !!! Je tourne en rond, en bourrique, une idée fixe, un casse tête.
        Balayage du regard vers l'amas de vapos trônant sur la table de nuit. Focus. Déclic. Voilà ! C'est celui ci ! Je peux enfin jouer au lion tranquillement, j'ai trouvé ce qui m'était si familier et je suis plus qu'étonnée. D'ailleurs j'aurais peut être dû m'abstenir de poser le nez sur ce fait, car je commence à avoir du mal à dissocier les deux parfums. Il s'opère une sorte de mise en parallèle incontrôlable dès que je respire cette humeur. Je ne suis que points communs et oppositions, toute en échos.


                                                                               D' Humeur Massacrante

" Un parfum rouge. Comme voir rouge. Brûlant comme le feu. Énervant comme trop de café. Piquant comme la moutarde qui monte au nez. Soufré comme l'allumette qui craque. Et la flamme qui part dans un éclair... Comme une colère !
    Une bonne raison de le porter : le vaporiser, c'est comme casser une pile d'assiettes. Une façon d'exprimer sa colère et en même temps de s'en libérer. Une colère qui s'envole en particules odorantes, c'est tellement léger à porter ! "
Extrait du livret accompagnant le coffret.

         L'ouverture, sans noirceur pour autant, est plus sombre et compacte que celle de son parfum frère qui ne me sort pas du nez. Si le frère offre la fausse limpidité d'une couture de foin nimbé de maté, cette Humeur Massacrante elle se trouble d'alcool suave :

        C'est une valse entre poudre épicée et vieille liqueur aux plantes. Clou de girofle, cannelle et mélisse, une idée de Becherovka dans l’atmosphère. Un zeste amer ? Entre orange et pamplemousse peut être. Un jet lumineux, une tornade au sourire déconcertant. L'encens, bardé d’échardes, roule avec délice dans ces clous, traverse la muscade, froisse la coriandre et atterrit dans un joli poivre grisé qui chatouille le museau.
        Ce n'est pas vraiment sec : on sait le paysage encore imperceptiblement humide. D'une averse brusque et fugace, de celle qui laisse juste le temps à la terre de coller, ici et là, en gouttelettes compactes sa poussière superficielle. Une poussière de terre ocre, pâte de piment légèrement sucré, pas en gourmandise, juste comme un grain de sel exhausteur de gout. Puis tout se broie. La sécheresse reprend ses droits et les matières s'effritent dans l'air, minuscules particules en apesanteur durant quelque instant... Son frère est si proche.
        C'est un brusque coup de vent brûlant qui vient tout coller à la peau. Légèrement fumé, comme à peine torréfié, le cuir très fin s’imprègne de l'encens et des épices. Autour les bois ont chaud eux aussi. Cèdre, santal et vétiver se dressent fièrement, géants face aux poudres rouges.  C'est une route qui s'ouvre, tourbillons poussiéreux et arbres majestueux en lisière. Cette route est la même, peut être juste un autre jour, un autre moment, mais c'est bien celle qu'empreinte son frère en 2006 par la grâce d'Isabelle Doyen pour Les Nez...
         Lorsque la colère retombe (une colère souriante et éprise de liberté s'il en est...) il reste la trace, en transparence, vergeure et pontuseau, de l'encens et du vétiver. Mais ce n'est pas pour autant ténu, le papier vergé tiendrait même plutôt du parchemin légèrement viril. Il quitterait un peu son frère d'ailleurs ici, et saluerait un cousin proche : Tumulte, Lacroix (2005)

        Humeur Massacrante et Let me play the lion sont si proches... Ils sont beaux. Une même histoire avec un autre point de vue. Le Lion attend l'orage, Massacrante l'a essuyé. Je reste plus attachée au Lion et son avidité d'espace, il me parle d'aventure, une pionnière de l'aviation qui pose son coucou sur une piste africaine. Massacrante me fait parcourir la piste à pied, je me sens moins à l'aise, un peu écrasée par la grandeur des arbres...



Arbres, Automne. Achille Emile-Othon Friesz, 1906

                                             

     





dimanche 1 janvier 2017

Digression : D' Humeur à Rien, L' Artisan Parfumeur


Photo : Chrystelle Lance
   


           Lors de la sortie en 1998 du coffret Les Sautes d'Humeur par Olivia Giacobetti pour l'Artisan Parfumeur, mon enthousiasme avait été freiné par le côté "palette" de la chose : 5 parfums c'est bien mais il y a toujours des aimés et des délaissés dans l'histoire. Ainsi voir un flacon chéri diminuer dangereusement alors qu'un autre, dont on se fiche, reste résolument plein est assez frustrant à mon gout ! 15 ml c'est bien peu lorsque l'on aime mais c'est beaucoup trop lorsque l'on déteste. C'est aussi, d'une certaine manière, payer 5 fois le prix d'un seul flacon réellement désiré... J'avais donc renoncé, gardant simplement le joli souvenir de leur existence. 
           Mais le parfum finit toujours par sonner deux fois : une occasion s'est présentée et je les ai enfin aimablement adoptés. Je me souvenais que l'une d'elle en particulier, même si je n'avais plus la moindre idée quant à son "univers olfactif", m'avait interpellée. Je pensais que c'était la Massacrante. Mais non. 
            Une à une j'ai remis mon nez dessus et j'ai retrouvé celle qui m'avait marquée : un véritable bijou à faire pâlir les niches actuelles qui "inventent" des odeurs/concepts plutôt que des parfums en se rêvant modernes et originales. 
            Sans l'ombre d'un hasard c'est donc celle ci qui ouvre le bal du coffret et c'est une folle bourrasque qui me transporte : radicale et fantomatique, d'une poésie sombre et transparente à la fois.

                                                                               D'Humeur à rien :
" Un parfum gris. Comme grise mine et ciel d'automne. Humide comme une maison qu'on ouvre et la bouffée de nostalgie qui vous submerge soudain. Silencieux comme une retraite volontaire à l'écart du monde. Rafraîchissant comme l'église où l'on se glisse un jour de chaleur accablante. Pénétrant comme les vapeurs d'encens qui vous entraînent à la contemplation.
    Une bonne raison de le porter : avoir envie de rester en tête à tête avec soi même, de prolonger encore un peu cette mélancolie qui se laisse apprivoiser et vous rend un rien mystique. "
Extrait du livret accompagnant le coffret.

       
     
         Le pouvoir évocateur de cette humeur est d'une puissance incroyable : cela aurait pu être casse figure et virer à l'exercice de style caricatural, être une grossière image d’Épinal pour jouer dans la cour de l’excentricité. Mais il n'en est rien. La délicatesse d'Olivia donne au jus une étonnante mesure (comme pour nombre de ses encens d'ailleurs : Passage d'enfer, Artisan parfumeur, L'Ether, Iunx, voire L'Eau Sento, chez Iunx également) : on évoque de façon radicale mais sans rien d'inutile. La mise en scène n'est pas théâtrale, les passages obligés sont contournés et surtout il n'est pas question de faux semblants.

         L'ouverture est une aspiration brutale. Un élixir concentré d'eucalyptus camphré en guise de clef sur un autre monde. Les images se bousculent à travers une foret fantasmée entre cèdres et cyprès, le film se déroule à toute vitesse et soudain on y est. Ailleurs. Un lieux fantomatique, comme un souvenir, un rêve de vie antérieure. L'atmosphère est terriblement renfermée, la pierre s'effrite et l'encens cru crisse sous chaque pas. En volutes il s'est incrusté partout : le livre en cuir relié, le crayon taillé au cutter, le bénitier où croupit une eau suintant par magie... C'est du plâtre moisi piquant, de la suie acre incrustée sur les briques de la cheminée négligée, du linge rêche qui ne séchera jamais, des fleurs mortes depuis des éons...  
        D'ailleurs celles ci en se décomposant reviennent à la terre, et là, poussant la trame en dentelle des feuilles décharnées, un champignon pointe, pas celui du gardénia, non, celui des forets où les bactéries font une orgie après la pluie.
         En se posant, le parfum découvre encore quelques pierres couvertes de mousse où semblent vouloir pousser trois clochettes de jacinthes sauvages, un peu plastique, blanches aquatiques, une idée de lys qui n'ose se montrer. Dans un coin on raccroche le long manteau en cuir fumé, raide et froid.
         Les vapeurs anciennes, d'encens et de feux de bois, se dispersent négligemment, elles baissent le son. Des raies argentées transpercent alors le brouillard spectral et troublent la vision. Elle s'estompe. La main s'accroche à la maie encaustiquée pour ne pas quitter les lieux.
          Finalement c'est la peau délicatement poivrée et piquée de quelques échardes qui garde la trace. Les cheveux un peu fumés. La chemise de lin épais qui malgré les copeaux de savon conserve la moisissure du temps. Il suffit alors de plonger son nez au creux de soi pour tout revoir, en douceur.



Photo : Christian Peter







       
     



P.S : Bonne année !