samedi 23 mars 2013

Un nouveau destin

    Une surprise ? Et bien voilà de quoi me faire trotter illico vers l’inconnu ! Je retourne toutes les possibilités, je m’accorde facilement sur le fait que cela est en rapport avec le parfum, mais alors je n’ai aucune idée de ce dont il peut s’agir. J’ai donné mon choix pour la version finale il y a juste quelques jours, une chose est sure, ce n’est donc pas le parfum tout beau tout neuf qui m’attend…
   

Une forme se dessine

    A peine arrivée on dépose entre mes mains un petit paquet bien mystérieux, et entre mes oreilles résonne un terriblement enthousiaste « Vous allez voir c’est incroyable, j’ai immédiatement pensé à vous ».
    J’ouvre la chose délicatement, de vieux bouts de papiers journaux jaunis s’effritent  à chaque mouvement, de la poussière vole allègrement, je suis de plus en plus intriguée…
    Mes doigts rencontrent une forme et mes yeux découvrent enfin l’objet totalement inattendu : un flacon ancien, absolument superbe, totalement dans l’esprit de toutes ces vieilles choses que j’aime tant… J’ai l’impression d’avoir déballé un trésor, le rescapé d’une coiffeuse que l’on aurait balayée sous le feu d’un élan amoureux violent, l’oublié au fond d’une malle après un lontain voyage interminable, le vestige d’une époque où la beauté d’un flacon allait de paire avec la préciosité d’un jus.
Une image se profile 
   
   Oui c’est incroyable !!! Mais : qui, que, quoi, comment ??? J’évite soigneusement de mettre en branle tous les engrenages de mon cerveau en ébullition, je suis sous le charme mais je ne sais pas du tout le pourquoi de ce flacon…

   
    Ce qui a mené à la création de ce parfum est une succession de rencontre et de hasard, portée par un petit vent de douce folie artistique, grâce à la passion partagée. L’idée de proposer éventuellement ce parfum à un plus large public n’a jamais été réellement une envie : cela n’était pas le propos et surtout d’une certaine façon cela l’aurait dénaturé…
    Mais parfois il suffit d’un hasard de plus pour que le chemin prenne un tour imprévu.
    Ce vieux flacon tout neuf, qui n’avait aucune raison de croiser notre route, a une petite centaine de frères, alors pourquoi ne pas en profiter ?  
Dans son papier de 1934
    Ce vieux flacon tout neuf,  qui n’est pas à une coïncidence près, est emballé dans de vieux journaux où apparaissent les résultats des courses hippiques de 1934…
    Entre les écuries de la garde républicaine où tout débuta, la parfumeuse montant à cheval pour exprimer cette odeur et le flacon lové dans les performances équestres, il y a des choses à ne pas manquer.
   Alors, si ce flacon me plait, si j’en ai envie et si je suis prête à m’investir, on m’offre la possibilité de voir un peu plus loin que prévu...

   Oui, mille fois oui  et mille fois merci !!! Je veux que mon parfum coule dans cette bouteille, je veux qu’il vive aussi un peu en dehors de moi, je veux que cette histoire continue !
   Mais sous quelle forme? Et surtout quid de la sphère créative ? « C’est votre projet, vous faites ce que vous voulez, c’est à vous ». Voilà, c’est ce que l’on me propose : de A à Z tout sortira de ma tête, le soutien logistique dont j’aurai besoin est aussi mis à ma disposition… Oui, le flacon est incroyable, la chance, l’aventure le sont encore plus !


   ... Et quelques jours plus tard, je me retrouve le nez dans les cartons, déballant fébrilement les flacons. 79 ans après q'un sort cruel les ait plongés dans un long sommeil, les voici de nouveau dans la lumière :

J'aurais besoin d'une fée pour un sort de nettoyage




   ...Et maintenant ? Et bien il me faut une marque, un nom, une boite, une étiquette… Du temps !!!



lundi 18 mars 2013

Numéro neuf et vieux flacons

     Ils ne sont pas bien grands ces flacons… Je vois les niveaux de N°9 et N°11 diminuer inexorablement, ça passe si vite 5ml ! Pourtant il me faut choisir. Enfin non, il n’y a aucune obligation et c’est sans doute une part du problème : ai-je envie de m’arrêter ici ? Ai-je trouvé le parfait accord ? Y aurait il encore une nuance à peindre ?  Et puis parfait en quoi ? ? ?
     Alors non je n’ai pas envie de m’arrêter, j’adore découvrir, triturer, comparer, imaginer, sentir mes chemins prendre odeur, je veux encore tourner autour de ces effluves. Non l’accord n’est pas parfait, ce n’est pas une artillerie head space chromato-spectro qui s’est promené le 8 octobre rue de Sully à Paris. Oui il y a encore des dizaines de nuances à transmettre, des variations infinies même…
     Mais ce N°9 est parfait en un point : je l’aime. Finalement qu’est ce qui pourrait rivaliser avec ça ?


 
Mme Gautreau, John Singer Sargent.
Scandaleuse bretelle dont il ne reste qu'une photo...
    Toutefois je ne cesse de repasser mon nez sur N°11, le trouvant plus ciselé, presque plus beau… Pourtant il ne me touche toujours pas et ça m’agace doucement : c'est la bretelle de Mme Gautreau ! ! !  Ce qui la rend impeccable lui ôte tout côté sulfureux. Alors même si de façon très puérile j’aimerai choisir le plus abouti, de façon totalement instinctive je suis émue par le plus cabossé.  C’est une simple question de charme, de personnalité, d'attrait charnel. Admirer les traits d'une madone mais préférer ceux d'une courtisane… Je n’ai que rarement de goût pour les canons de beauté en vigueur de toute façon !
     Il faut donc que j’arrête de chercher à me dérober et que je m’arrête tout court : je sais que N°9 est le parfum que je veux porter et sentir encore longtemps. Avec ses accidents il est beau, il raconte une histoire, je me sens bien avec lui.
     J’envoie à Amélie : " c’est bon, c’est lui "...

     
    ...Ce parfum est né d’un simple challenge, une idée sans rien de plus qu’une dizaine de flacons à la clé, un fantasme d’amoureuse de parfum tout simplement. Mais depuis que j’ai arrêté mon choix, une phrase revient de temps en temps : et si on faisait un peu plus ? Ca complique un peu les choses… oui, non, oui, non…
     " Est-ce que vous voulez le vendre ce parfum et comment ? " . Voilà en substance ce que l’on me demande aujourd’hui ! Et moi je n’en sais rien du tout, je suis un peu submergée par le tour que cela pourrait prendre. D’une idée totalement créative je bascule dans un univers auquel je n’entends rien.
     Imaginer ce parfum confronté au public est très excitant,  mais voir tout ce que j’y ai mis lâché banalement sur l’autel du commerce l’est beaucoup moins. Je suis terriblement possessive, je n’arrive pas à me dire que d’autres pourraient le prendre en charge et lui donner nom, flacon, boîte… Soyons clairement prétentieuse : je ne veux pas que mon parfum soit habillé par d’autres ! Je me rends compte tout simplement que j’aborde la possibilité de commercialisation comme une mise en place d’un réel projet artistique ! ! ! Que si le jus est central, l’opportunité me donne envie de tout détailler autour, de présenter chaque pan de façon personnelle et unique, de continuer la création à chaque étape… En gros j’envoie valser par pur plaisir créatif cette phrase si chérie « Du N°5 vintage en gourde, ça ira très bien, le reste est superflu ». Enfin, ce serait l’idéal si jamais le parfum devait poursuivre sa vie…

     ... Et puis un jour, je reçois un mail : " Venez voir, j’ai une surprise pour vous si ça vous plait. "
     Comme un déclic, un feu vert, voici, sorti de près de 80 années de sommeil ce qui donna le coup d’envoi à une production un peu moins limitée que prévue…

 Une gourde très spéciale à l'horizon

mardi 12 mars 2013

L'ombre d'un choix

Réunion des versions
     Cette fois ci une impatience un peu tendue m'accompagne je dois bien le reconnaître ! Je vais sentir trois nouvelles versions, et un peu comme une petite fille capricieuse je veux être emballée, comblée, avoir une évidence qui me saute aux narines...
     Lorsque je retrouve Amélie elle semble bien plus contente que la fois précédente, bon augure, et est, du coup, très loquace : j'apprends directement qu'elle a totalement revu le départ et viré mon thym adoré... Là mon immense sourire figé veut juste dire " mais kestafoutu bitch ! "...
     Elle a beau me donner le joli nom du remplaçant censé faire tout pareil mais en mieux, m'assurer qu'avec lui le départ sera purgé de sa note mentholée malvenue, je soupire sur feu mon thym. Puis lorsqu'elle m'annonce qu'elle a ajouté un élément pour plus de fluidité c'est le coup de grâce : j'imagine une chose lisse et je tremble ! Mais j'empoigne vaillamment 9, 10 et 11, fait taire tout à priori, et me lance à la découverte de ces nouveaux opus.

    Mon histoire avec le thym vole immédiatement en éclat devant la précision et la justesse de l'ouverture. Elle est comme elle doit être, sans menthol, un poil moins fusante et plus sombre, mais toujours aussi explosive. Face à la fougue assurée et à la maîtrise de l’espace qui s’affiche à présent, le thym semble n’avoir été qu’un acteur mal dégrossi et arrogant, au registre unique et monocorde. Là c’est toute une palette qui crée l’unité… Et cela fonctionne avec chacune des versions : " whaou, merci angel ! "
    Versions que d’ailleurs je n’aborde pas comme d’habitude : si, bien sur, j’ai senti chacune d’elles dans leur ensemble, presque instantanément j’ai découpé tout et comparé par morceau, j’ai extrait les éléments et occulté le reste… Un peu comme un jeu des 7 différences ! Elles sont maintenant si similaires, juste les détails leur donnent leur personnalité.
      Et pourtant, malgré leur ressemblance les choses s’imposent. C’est marrant, une fois de plus il y a une version qui en une seule inspiration est évincée, jolie mais avec ce truc qui ne colle pas : n°10. Peut être trop de fleurs à lui reprocher tout simplement… Je n’y reviens pas, une fois suffit à savoir que ce n’est pas elle.

    Puis il y a le n°9 et le n°11…

-N°11 a une élégance très couture, il coule de source sans être lisse, accrochant peut être un ylang trop distinctif… Mais son réel défaut est son attitude étudiée, il semble un brin poseur. J’ai envie de lui décoiffer le chignon. Il est très réussi et superbement modelé, seulement il manque cette touche de liberté, cheveux et fesses au vent !

-N°9 a plus de clivages, il a arraché la traîne de sa robe haute couture pour mettre les pieds dans le ruisseau. Il a suivi toute la vie du lys, il a approché le naseau du cheval et traîné dans le box. Il n’est ni sage ni sale, il est sauvage. Il n’est pas cuir mais peau. Il n’est pas floral mais pourtant elles exhalent. Il y a des heurts, des hésitations, mais c’est comme une cadence à l’histoire. Et puis, comme pour chacune de ces versions, le labdanum est juste posé comme une touche de chaleur…


   Voilà, mon évidence est là. Je vais tergiverser, avoir peur de me tromper, me demander et si plus de ci, et si moins de ça, et si autre chose… Mais une des premières choses que j’ai apprise en art c’est de savoir m’arrêter lorsque cela me plait et non lorsque j’ai vidé tous les tubes sur la toile.
   Je repars avec trois fioles en poche, prête à les digérer, mais je sais déjà où je vais…

Illustration : Elodie Lahaye








jeudi 7 mars 2013

A mes cobayes anonymes

   ...Ceux qui, sans toujours avoir demandé quoi que ce soit, se sont retrouvés avec mon parfum sous le nez !
 
   Car depuis que j’ai tous ces flacons, je les trimballe partout avec moi, dans mon sac, en plus des autres vapos ordinaires que sont le parfum du jour, celui d’hier, celui de demain... Bref je dois avoir 6 à 8 parfums au fond de ma besace en permanence. Il y a le 3, le 7 et le 8 généralement, parfois le 4 ou le 6 viennent les rejoindre.
       Fatalement je ne cesse de les sortir à tout bout de champ, partout, tout le temps…
    

   Puis un jour, assise à un bar avec une amie, verre et mouillette à la main depuis des heures, une femme juste à côté, amusée, m’a demandé ce que je pouvais bien sentir comme ça… 
     Me voilà donc partie à raconter le projet et l’histoire de « Lily and a horse », à me demander très bêtement comment se dit « écurie » en anglais ? ! Je ne m’attendais pas du tout à ce que ma première testeuse inconnue soit anglophone, l’impro fut rude mais, au fil des touches parfumées, l’échange follement intéressant !
     Pleine de précaution je me décide à lui glisser le n°8 en prévenant que si le précédent était un peu trop « girly » (n°7) celui-ci était « all about horse »… Alors une superbe exclamation : « Ho yes, i can smell the horse! », et un immense sourire. Celui-ci était à son goût, il la surprenait et elle aimait ça !  
     Nous avons discuté encore un peu, son compagnon levant les yeux au ciel, et je dois la prévenir lorsque le parfum sortira : j’ai ma première carte de visite !
  Sur une si bonne voie, j’avoue qu’ensuite je n’ai pas résisté à le faire sentir au barman, à la barmaid, à tous les intéressés à portée de nez...


     A partir de ce moment-là j’ai passé toute une période à faire
sentir « mon parfum » (oui, même s’il n’est pas encore abouti,
je me le suis totalement approprié) à des personnes que je ne
 connaissais pas, ou peu.
illustrations : Elodie Lahaye
    Ainsi j’ai découvert que l’on pouvait le trouver poivré, qu’il rappelait le chemin semé de chèvrefeuille, qu’il était citronné, qu’il sentait la chèvre, qu’il sentait l’adoucissant non dilué, que c’était un parfum pour homme, et un parfum pour femme, qu’il sentait le thé à la lavande, la croûte de fromage, qu’il était doux, qu’il était fort, qu’il était sucré…  Qu’on voulait l’essayer sur peau ou que l’on ne voulait surtout pas le sentir une deuxième fois !
     A chaque avis j’ai cherché ce qui pouvait faire écho à ma propre perception, aux notes que je connaissais du parfum. J’ai même passé un temps à chercher ce chèvrefeuille (dont je rêve en parfumerie !), je me suis parfois persuadée que je le voyais, du moins que je voyais ce qui pouvait l’évoquer… 

   Qu’ils aient aimé ou non, avoir leur avis a été un vrai régal, c’est si surprenant, ça fait penser, ça fait avancer… 
Merci !