Mais tout d'abord tranchons net : il est question d’un extrait vintage, le drugstore étant fermé près de chez moi, la version actuelle me reste inaccessible…
Puis évitons l’hémorragie usuelle : L’Heure Bleue de Guerlain n’existe pas en ce jour de 1905, et n’existera pas avant 1912. Oublions donc ce cher Jacques et louons ce grandiose François…
Chaque fois il jaillit de son flacon tel un génie de lampe magique, un tourbillon étourdissant possédant l’art du voyage dans le temps.
Son ouverture est juste incroyable : saturée de lumière elle dessine pourtant déjà le corps poudré, emmitouflé de fourrures fauves, dense et palpitant.
L’espace d’un instant c’est un givre aldéhydé marié d’oranges un peu amères, à peine paré d’anis, fouetté d’une coriandre verte et corsée, qui éclate autours d’un corps épais de fleurs, d’épices… Dans un recoin, une peau animale presque cuirée, à la limite du fantasme fumé attend…
Là s’impose un ylang épais, nimbé d’une poudre grasse où l’accord cosmétique rose/violette s’entoure d’amande, d’héliotrope grisé. Au milieu le rythme relevé d’épices joue sur la muscade et la cannelle. L’œillet bien présent se fait pourtant presque tendre, les bois patinés oscillent entre sciure et cire… Une impression de cerises confites dans les aiguilles de pin prend place, une pincée de cèdre en guise de poivre exotique l’accompagne.
Puis l’animalité sort de l’ombre. La fourrure parsemée de neige du départ s’est réchauffée, elle exhale, poudrée, poussiéreuse d’encens, grasse d’un sébum ambré et patiné d’une gomme au fruité rouge. Sous le pelage, le corps musqué, savonné de civette un peu acre, se dévoile de plus en plus à travers des vapeurs lourdes.
C’est magnifique. Bien qu'un peu brusque, son équilibre est fier, éclatant, parfait dans son allure.
…Puis nous commençons à nous regarder de travers. Lui, s’ingéniant à rendre sa vanille de plus en présente, ignorant ma sensibilité pourtant fort bien placée. Moi, anticipant son prochain esclandre chez Ambre en stock…
J’ai beau tenter de repenser à cette gousse palpitante d’encens qu’il me présentait fièrement à nos débuts, je ne vois plus qu’un macaron vanille trop lourd pour frémir.
Pourtant, sous ce quotidien étouffant, une tendresse de vieille maîtresse persiste. Je reconnais en lui coumarine et benjoin attractifs, mais ces atours ont forcé le trait, il n'est plus pour moi. Il a changé, une autre l’aimera ainsi mieux que moi…
Mais masochisme d’une vieille maîtresse, il arrive toujours un jour où j’y retourne, une de ces journées où je me dis « Putain ! C’était si bon… » . Une journée où je suis prête à voir mon estomac se nouer juste pour quelques heures de plaisir dans son odeur…
Le couinement des violons s’éloignant enfin, il reste un parfum somptueux, richement vêtu, à la force évocatrice rare pour moi. C’est un univers de fête folle, au cœur de l’hiver, dans une salle de bal chauffée de champagne, de rires, de vêtements précieux, de visages fardés… Une époque riche où l’on expose une insouciance feinte, masquant une nostalgie terrible.
Son ouverture est juste incroyable : saturée de lumière elle dessine pourtant déjà le corps poudré, emmitouflé de fourrures fauves, dense et palpitant.
L’espace d’un instant c’est un givre aldéhydé marié d’oranges un peu amères, à peine paré d’anis, fouetté d’une coriandre verte et corsée, qui éclate autours d’un corps épais de fleurs, d’épices… Dans un recoin, une peau animale presque cuirée, à la limite du fantasme fumé attend…
Là s’impose un ylang épais, nimbé d’une poudre grasse où l’accord cosmétique rose/violette s’entoure d’amande, d’héliotrope grisé. Au milieu le rythme relevé d’épices joue sur la muscade et la cannelle. L’œillet bien présent se fait pourtant presque tendre, les bois patinés oscillent entre sciure et cire… Une impression de cerises confites dans les aiguilles de pin prend place, une pincée de cèdre en guise de poivre exotique l’accompagne.
Puis l’animalité sort de l’ombre. La fourrure parsemée de neige du départ s’est réchauffée, elle exhale, poudrée, poussiéreuse d’encens, grasse d’un sébum ambré et patiné d’une gomme au fruité rouge. Sous le pelage, le corps musqué, savonné de civette un peu acre, se dévoile de plus en plus à travers des vapeurs lourdes.
C’est magnifique. Bien qu'un peu brusque, son équilibre est fier, éclatant, parfait dans son allure.
…Puis nous commençons à nous regarder de travers. Lui, s’ingéniant à rendre sa vanille de plus en présente, ignorant ma sensibilité pourtant fort bien placée. Moi, anticipant son prochain esclandre chez Ambre en stock…
J’ai beau tenter de repenser à cette gousse palpitante d’encens qu’il me présentait fièrement à nos débuts, je ne vois plus qu’un macaron vanille trop lourd pour frémir.
Pourtant, sous ce quotidien étouffant, une tendresse de vieille maîtresse persiste. Je reconnais en lui coumarine et benjoin attractifs, mais ces atours ont forcé le trait, il n'est plus pour moi. Il a changé, une autre l’aimera ainsi mieux que moi…
Mais masochisme d’une vieille maîtresse, il arrive toujours un jour où j’y retourne, une de ces journées où je me dis « Putain ! C’était si bon… » . Une journée où je suis prête à voir mon estomac se nouer juste pour quelques heures de plaisir dans son odeur…
Le couinement des violons s’éloignant enfin, il reste un parfum somptueux, richement vêtu, à la force évocatrice rare pour moi. C’est un univers de fête folle, au cœur de l’hiver, dans une salle de bal chauffée de champagne, de rires, de vêtements précieux, de visages fardés… Une époque riche où l’on expose une insouciance feinte, masquant une nostalgie terrible.
Tout se fissure, et alors ? Dansons…
Photo : Thomas Jorion |
Quel joli texte pour un aussi joli parfum. La comparaison, dont vous évitez l'écueil, ne lui rend souvent pas justice. Pourquoi comparer l'éclat du jour au pensif crépuscule ou, si je reprend une expression de chez moi, à la brunante.
RépondreSupprimerJe n'ai hélas pas la chance, le plaisir dirais-je, d'avoir un extrait, mais mon parfum de toilette est fort satisfaisant. Une fragrance lumineuse, résolument diurne se révélant à la pleine lumière et qui malgré son enveloppement n'en devient jamais trop lourde. Il est assez optimiste cet Origan, anti-morosité sans tomber pour autant dans la mièvrerie ou un "romantisme de gamine".
Au plaisir de vous lire encore...et encore
Hermeline
Merci Hermeline,
SupprimerQuelle belle image poétique La Brunante... J'aime beaucoup!
Oui, vraiment L'Origan est lumineux, "un coup de fouet enveloppant", vif mais confortable... Loin d'une mélancolie bleue selon moi!
En fait il y a la palette commune mais la scène n'est pas la même.
Je ne connais vraiment pas d'autre version de L'Origan, mais j'en ai plusieurs de L'Aimant, dont un parfum de toilette et celui ci tient bien la route face à l'extrait. Alors je peux imaginer que Coty a su faire de même avec L'Origan (idée qui un jour me fera partir à la recherche d'un pdt!)
Quelle magnifique description, tout y est!
RépondreSupprimerJ'ai un petit flacon du pdt. (Je ne m'engage pas sur le niveau de conservation). Je pourrais vous en faire un decant, à l'occasion?
C'est la structure de l'origan qui m'émerveille à chaque fois. Comme s'il arrivait à préserver 3 équilibres en même temps.
C'est un parfum qui en met plein la vue, tout en ayant la beauté d'une démonstration mathématique. Austère et hédoniste à la fois.
La comparaison avec "l'heure bleue" se perd. Pour amplifier les fleurs blanches et l'accord oeillet épicé, l'heure bleue utilisait comme contrepoint tout un pan "herbes aromatiques". (Je ne connais pas les ingrédients autant que je le voudrais). Dans ses accords patissiers, Guerlain recourait souvent au bouquet de Provence et aux notes anisés.
Le pan "médicinal" & madère & herboristerie, servait aussi de contrepoint.
Et une note boisée du fond contenait un aspect "violette" qui ramenait le mélomane au début de la composition, avec sa violette dans les notes de tête.
~lavande, médicinal, violette, accord oeillet : Les directeurs artistiques croient que ces notes ne sont plus dans les goûts actuels (le fameux "ça sent la veille dame"). Thierry Wasser bataillent année après année sur chaque extrait, après les vagues de réglementation de l'industrie sur les allergène.
A mes derniers essais/achats, l'extrait de l'heure bleue avait un gros trou au milieu : une fleur d'oranger, solaire pétillante et langoureuse (miel), et un fonds tonka gourmand. Merveilleux, mais pas l'heure bleue. L'heure était plus opératique, en 3 actes, etc.
Merci beaucoup Julien!
SupprimerLe caractère particulier de L'Origan est bien dans cette facture qui sait manier avec maestria brutalité rêche et esthétisme fluide... L'Origan est la vie et sa contemplation en même temps.
L'heure bleue a joué sur un tableau bien plus contemplatif justement, et féminin aux codes très définis. Guerlain a adouci le tempo, lui a donné des coussins et l'a posé devant une fenêtre... Mais la cire lui évitait un rôle trop statique et lui apportait profondeur. Aujourd'hui je ne trouve plus cette cire, au mieux un miel, noyé d'heliotrope et de tonka, lourd et indigeste... Avec le tour de force d'une légèreté flottarde tout autour.
T.Wasser tente de reprendre les classiques (et à priori Mitsouko semble avoir retrouvé de sa superbe!), mais je ne sais pas ce qu'il compte faire (ou a fait?) avec l'Heure bleue...
Quant aux normes IFRA, le souci est que trop de choses sont passées avant que les parfumeurs ne se réveillent
Le "ça sent la vieille" associé à l'œillet par exemple me fait penser à un énorme coup de cœur que j'ai eu pour L'Heure Convoitée, Cartier: Mathilde Laurent a su lui donner une modernité pétillante absolument superbe.
Gout du jour ou pas, quand la créativité et la maitrise sont là, les directeurs artistiques devraient juste se faire tout petit et humbles!!!
Et je serais ravie de connaitre L'Origan en pdt, merci pour cette proposition :-)
SupprimerVous pouvez me contacter sur ce mail : lys.epona@gmail.com
J'aime beaucoup votre référence au rapport contemplation/vie [agissement], elle m'est très parlante.
RépondreSupprimerC'est drôle que vous parliez de "cire". Cela me rappelle que c'est cette facette qui m'aide à distinguer le jasmin naturel dans les compositions. Comme le jasmin indien dont la facette grasse est presque une note animale à elle seule (et je ne parle pas que de l'indole).
En somme c'est une facette que j'aime, -et j'aime votre Lys Epona-, et qu'on ne sent plus autant chez les Guerlains. Du coup, après l'Ifra, l'actualisation au goût actuel, c'est la question budget qui est mon 3ème "usual suspect".
Et chez Dior, j'ai l'impression de sentir une imitation de cire dans ce qui doit être leur base jasmin sans jasmin qu'ils utilisent jusque dans leur ligne exclusive-. Cette cire là ne me procure aucun plaisir.
Encore en parlant cire, plutôt façon mitsouko, il y a "chinatown" chez Bond, qui a une autre facette cire. Entre la pêche-prune artificielle euphorisante, la devanture de boulangerie de supermarché qui sent le croissant, et la machine en train de lustré le béton ciré du centre commercial.
La seule fois où j'ai senti l'extrait de l'heure bleue d'époque (ou la repesée par Thierry Wasser -doute-), j'ai revécu cette sensation de "vent dans les feuilles". Peut-on encore parler de contemplation quand on s'oublie pour être le vent dans le jardin?
L'extrait que j'ai (d'il y a 3 ans), est beau à distance, sur quelqu'un d'autre. Cette belle radiance propre à une essence de fleur d'oranger (€€€).
Au milieu, il a les défauts que vous décrivez.
En note de fond 40mn après il offre ce parfum de peau, et je reste très client de ces accords tonka vanille baumes iris.
P.S.: je vous envoie un mail quand le decant de l'Origan pdt sera prêt.
Oui le jasmin, même hors indole, a une "texture d'odeur" cirée/cireuse, organique... La cire est là, et lorsque la composition en ajoute un soupçon à la fleur c'est simplement à tomber!!!
RépondreSupprimerMais le collimateur de l'Ifra nous offrirait volontiers une parfumerie sans une once de jasmin naturel, belle perspective ! Il faudra que ça travaille dur pour réussir à ciseler les matières de synthèse si l'on ne veut pas se retrouver avec un jasmin à la framboise vert flottard, une coumarine arôme vanilline/amande et autres essais qui pour l'instant ne sont pas encore au point ( et c'est très gentiment dit !). Quand en plus se mêle le troisième "usual suspect" qui en effet tire vers le bas les compositions ce n'est pas gagné... Et là on entre encore dans un autre débat : la question des 50 centimes de jus dans un flacon à 100€ où tout le reste n'est que design et publicité. Le parfum n'est pas la priorité des parfumeurs soit...
La cire d'abeille a cette fabuleuse capacité d'apporter aux fleurs blanches ( oui jasmin en particulier, tubéreuse aussi) une envolée florale intense tout en exacerbant leur coté animal, façon nectar un peu acre, grisé par un tabac de fond de cave... Que l'on approche l'encaustique ou que l'on reste dans un type floral tabacé, cela reste pour moi une odeur de transport superbe ! Passer d'une Heure bleue à Miel de bois est régal, il y a comme un effet de "patine" immédiat avec la peau je trouve.
Je ne connais quasiment pas les bond, mais évoquer Mitsouko et une machine à lustrer ça me rend très curieuse!!! (les croissants moins, j'ai enormément de mal avec le coté alimentaire ou simplement gourmand!)
C'est très beau cet oubli pour etre le vent dans le jardin... Je sentirais presque L'Heure bleue à cette évocation! Mais même du vieil extrait ne me fait pas dépasser la fenetre, je fantasme devant elle, je ferme les yeux mais je ne sort pas ;-)
Elle reste toujours une bulle pour moi, protectrice presque.
En ecrivant je repense à certaines versions (70's), même edt, qui avaient une facette encens totalement dingue, c'était à tomber! Et là pour le coup bien sur, un orage de vie fondait sur la peau!!!
La guerlinade, malheureusement je la supporte de moins en moins... Disons qu'à moins de voir Wasser la remettre d’aplomb elle m'est devenu indigeste, l'exemple flagrant étant sur Liu...
(Et merci beaucoup pour Lys Epona, je suis toujours si contente qu'il plaise :-) )