dimanche 1 janvier 2017

Digression : D' Humeur à Rien, L' Artisan Parfumeur


Photo : Chrystelle Lance
   


           Lors de la sortie en 1998 du coffret Les Sautes d'Humeur par Olivia Giacobetti pour l'Artisan Parfumeur, mon enthousiasme avait été freiné par le côté "palette" de la chose : 5 parfums c'est bien mais il y a toujours des aimés et des délaissés dans l'histoire. Ainsi voir un flacon chéri diminuer dangereusement alors qu'un autre, dont on se fiche, reste résolument plein est assez frustrant à mon gout ! 15 ml c'est bien peu lorsque l'on aime mais c'est beaucoup trop lorsque l'on déteste. C'est aussi, d'une certaine manière, payer 5 fois le prix d'un seul flacon réellement désiré... J'avais donc renoncé, gardant simplement le joli souvenir de leur existence. 
           Mais le parfum finit toujours par sonner deux fois : une occasion s'est présentée et je les ai enfin aimablement adoptés. Je me souvenais que l'une d'elle en particulier, même si je n'avais plus la moindre idée quant à son "univers olfactif", m'avait interpellée. Je pensais que c'était la Massacrante. Mais non. 
            Une à une j'ai remis mon nez dessus et j'ai retrouvé celle qui m'avait marquée : un véritable bijou à faire pâlir les niches actuelles qui "inventent" des odeurs/concepts plutôt que des parfums en se rêvant modernes et originales. 
            Sans l'ombre d'un hasard c'est donc celle ci qui ouvre le bal du coffret et c'est une folle bourrasque qui me transporte : radicale et fantomatique, d'une poésie sombre et transparente à la fois.

                                                                               D'Humeur à rien :
" Un parfum gris. Comme grise mine et ciel d'automne. Humide comme une maison qu'on ouvre et la bouffée de nostalgie qui vous submerge soudain. Silencieux comme une retraite volontaire à l'écart du monde. Rafraîchissant comme l'église où l'on se glisse un jour de chaleur accablante. Pénétrant comme les vapeurs d'encens qui vous entraînent à la contemplation.
    Une bonne raison de le porter : avoir envie de rester en tête à tête avec soi même, de prolonger encore un peu cette mélancolie qui se laisse apprivoiser et vous rend un rien mystique. "
Extrait du livret accompagnant le coffret.

       
     
         Le pouvoir évocateur de cette humeur est d'une puissance incroyable : cela aurait pu être casse figure et virer à l'exercice de style caricatural, être une grossière image d’Épinal pour jouer dans la cour de l’excentricité. Mais il n'en est rien. La délicatesse d'Olivia donne au jus une étonnante mesure (comme pour nombre de ses encens d'ailleurs : Passage d'enfer, Artisan parfumeur, L'Ether, Iunx, voire L'Eau Sento, chez Iunx également) : on évoque de façon radicale mais sans rien d'inutile. La mise en scène n'est pas théâtrale, les passages obligés sont contournés et surtout il n'est pas question de faux semblants.

         L'ouverture est une aspiration brutale. Un élixir concentré d'eucalyptus camphré en guise de clef sur un autre monde. Les images se bousculent à travers une foret fantasmée entre cèdres et cyprès, le film se déroule à toute vitesse et soudain on y est. Ailleurs. Un lieux fantomatique, comme un souvenir, un rêve de vie antérieure. L'atmosphère est terriblement renfermée, la pierre s'effrite et l'encens cru crisse sous chaque pas. En volutes il s'est incrusté partout : le livre en cuir relié, le crayon taillé au cutter, le bénitier où croupit une eau suintant par magie... C'est du plâtre moisi piquant, de la suie acre incrustée sur les briques de la cheminée négligée, du linge rêche qui ne séchera jamais, des fleurs mortes depuis des éons...  
        D'ailleurs celles ci en se décomposant reviennent à la terre, et là, poussant la trame en dentelle des feuilles décharnées, un champignon pointe, pas celui du gardénia, non, celui des forets où les bactéries font une orgie après la pluie.
         En se posant, le parfum découvre encore quelques pierres couvertes de mousse où semblent vouloir pousser trois clochettes de jacinthes sauvages, un peu plastique, blanches aquatiques, une idée de lys qui n'ose se montrer. Dans un coin on raccroche le long manteau en cuir fumé, raide et froid.
         Les vapeurs anciennes, d'encens et de feux de bois, se dispersent négligemment, elles baissent le son. Des raies argentées transpercent alors le brouillard spectral et troublent la vision. Elle s'estompe. La main s'accroche à la maie encaustiquée pour ne pas quitter les lieux.
          Finalement c'est la peau délicatement poivrée et piquée de quelques échardes qui garde la trace. Les cheveux un peu fumés. La chemise de lin épais qui malgré les copeaux de savon conserve la moisissure du temps. Il suffit alors de plonger son nez au creux de soi pour tout revoir, en douceur.



Photo : Christian Peter







       
     



P.S : Bonne année !


2 commentaires:

  1. Ton très beau texte enchante ma première journée de cet An nouveau :-) Je ne suis pas sûre d'adhérer au jus ni à son "mood" mais j'aime tes mots et me vient à te lire l'image d'une forêt enchantée nappée de brume où l'on progresse pas à pas, à l'aveugle, sans connaître le chemin, guidés seulement par de lointains rais de lumière crue comme un appel à pousser plus loin la marche. Merci pour tes mots :-)

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  2. C'est le chemin parfait que tu vois... Et si tu pousses la marche, tu trouveras la vieille bâtisse en pierre où se cachent les fantomes.
    Mais une fois arrivée, point besoin de t'asperger, car en effet je ne pense pas que ce jus "attise tes faveurs" ! ;-)
    Cela me fait un immense plaisir de te lire ici, merci à toi!

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