lundi 10 juillet 2017

Digression : D'Humeur Jalouse, L'Artisan Parfumeur.




Macaron poivron piment



             
                      Le joli moment passé auprès de l'Humeur rêveuse me donne une folle envie de poursuivre l'exploration des Sautes d'Humeur. Jusqu'à présent Olivia Giacobetti a régalé mon nez et mes sens, sans fausse note. C'est d'ailleurs assez extraordinaire : un coffret de cinq frangrances et déjà trois me plaisent... L'Humeur à Rien me mettrait même presque à genoux devant sa poésie si particulière.
                     Alors comme je suis pleine d'a priori sur celle A Rire et que je ne veux pas rompre l'enchaînement délicieux, je me tourne vers la Jalouse, impatiente de découvrir si le plaisir sera au rendez vous ou non. Car tout comme la Rêveuse, elle m'est totalement passée au dessus de la tête lors de sa sortie en 1998. Aucun souvenir pour éveiller mes fantasmes : je peux commencer à déguster le jus sans autre idée que celle offerte par les quelques mots du livret accompagnant le coffret (je ne le lisais pas pour les précédentes).



D'Humeur jalouse : " Un parfum vert. Vert de jalousie. Vert comme une plante vénéneuse. Amer comme un poison. Celui qui empoisonne le sang de la jalousie, celui qu'elle rêve de faire boire à ses rivales, réelles ou imaginaires. Suave comme l'amande du noyau de l'abricot : amande cyanurée, mais si délicieuse dans la confiture qu'on n'y résiste pas...
   Une bonne raison de le porter : il contient le poison et son antidote. L'amer qui éloigne et le suave qui retient. Deux notes contradictoires vibrant dans ce parfum comme l'amour et la haine dans le cœur de la jalouse. "
Extrait du livret.


                  ... Et ces quelques mots donnent une vision plutôt bonne du parfum. Oui c'est sans doute un minimum syndical, mais ce n'est pas toujours le cas dans ce genre d'essai poético publicitaire qui ne tente que de nous vendre un paysage de carte postale idéal. Si l'on ôte ici le côté sentiment, on retrouve tout à fait l'armature du jus et la façon dont il mène sa vie. Et c'est une vie haute en couleur, toute en contraste de vert, de rouge et de mauve.

                  Immédiatement le nez se trouve au cœur d'une étreinte brutale : une verdeur très crue, potagère, encercle une amande fraîche et toxique, très fusante et tranchante. Pas une amande gourmande mais bien celle, amère, dont la liqueur dégouline du noyau broyé. Elle me fait peur : vais je finir nez à nez avec un marmot prêt à se gâter les dents dans les confiseries ? Non. Elle est vite rabattue et assignée à une autre tâche : en sommeil, elle plane, laiteuse, faisant passer l’ivresse pour du confort.
                  Alors se révèle une armada végétale assez tonitruante, traversant potager et verger. Tout d'abord une sorte de citron vert éclabousse l'ensemble pour attirer notre attention et offrir la curiosité d'un céleri, avec sa réglisse terreuse, laissant planer une fausse impression fumée. Puis une feuille de tomate puissante se déchire. Une explosion : du safran, du piment, du poivron vert. C'est terriblement vert. Le vert de l'herbe écrabouillée, amer et persistant dans l'arrière gorge. Passerais-je près d'un muguet sans m'en rendre compte ? Je préfère fantasmer sur une jeune jacinthe qui cache son nom...
                   Il se pose rapidement et laisse vivre la planche en bois blond qui a servi à découper les légumes. Un boisé doux aux mines de cèdres caressantes. Le céleri semble vouloir se transformer et se poudrer. Pour l'instant il observe, au milieu des graines de piment, du paprika et du petit poivre, l'arrivée de fruits : rhubarbe et coing. L'une dégorge déjà une acidité à peine sucrée, l'autre, tout juste débité, hésite entre rondeur et rugosité. Plus tard, ils cuiront, à peine, sous une pincé de cassonade.
                  L'amande reste fraîche et n'a plus aucune trace de cyanure. Après les légumes et les fruits elle tourne son regard vers les fleurs... Si peu évidentes que je semble les rêver. Un rhizome se dessine alors et prend racine. Si proche de Paprika Brasil ! L'amertume et le poudré s'apprivoise. Le règne végétal et humide laisse place à l’assèchement et l'on bascule vers un aspect plus rêche et crayeux. Le Poivron devient piment séché et ne quitte plus le bois. L'iris jette un œil furtif vers une rose fantôme, puis vers une violette piquée sur un long haricot extra fin. Unicorn Spell n'est pas si loin. Mais il les ignore, de peur d'être démasqué à cause de ces trop habituelles compagnes. Il semble bien plus intéressé par les restes du céleri...
                  Doucement l'énergie retombe et les protagonistes s'alanguissent sur un coussin plus tendre et poliment musqué. Mais ils gardent cette étincelle particulière. Entre âcreté végétale à peine fumée d'encens et crépitement ténu de fruits croquants, la racine séchée et pulvérisée garde son maintien, une capucine dans les cheveux, fière jusqu'au dernier souffle.

                  Cette humeur m'a rappelé des parfums que j'aime énormément (elle leur est antérieure) et m'a laissée assister à une sorte de frénésie au cœur des préparatifs d'un banquet en l'honneur du printemps. Cette profusion verte et amère, radicale, si bien balancée est un délice. J'ai envie d'y plonger à pleines mains. Je suis dans le potager, les ongles remplies de terre et les mains pleines de trésors juteux. Une fin d’après midi tiède et pétillante, lumineuse. Du jardin à la cuisine, je joue à l'alchimie culinaire : tout se transforme, ingrédient après ingrédient. Et lorsque cela se calme, il reste l'odeur de la personne avec la trace des végétaux impossible à effacer totalement. La cohabitation avec des fards rugueux d'un autre age peut commencer.



   Margarethe Maillart, ENS de lyon


                 

                 
                   
                   



2 commentaires:

  1. Ah, quel banquet !
    Mais alors tu m'intrigues, à quels autres parfums as-tu pensé, en dehors de Paprika Brasil (failli écrire Basil, avec ce potager ;) et Unicorn Spell ?

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  2. Et comme tu écris "Basil", je me dis Estragon !!! Je suis passée à coté mais je suis sure qu'il y a un truc avec l'estragon, c'est évident, je vais vite remettre le nez dessus. J'adore quand les choses se mettent en place de façon anarchique, merci :-)
    En fait Paprika et Unicorn sont les seuls parfums auxquels j'ai vraiment pensés, j'ai intrigué pour rien, désolée :-p
    Ha si, il y a un parfum de Senteur et Parfum du Pays Basque qui est assez proche, très potager céleri/tomate, mais j'ai oublié le nom...

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