1984. Depuis cette année là une jolie boite siglée Jean Patou dort au fond d’un garage, bien au frais dans le noir, douillettement calée dans la poussière. Si tranquille qu’elle n’est jamais venue se rappeler à mon bon souvenir en plus de 20 ans. Et franchement les 12 miniatures d’origine qu’elle renferme n’ont plus eu aucun intérêt à mes yeux depuis belle lurette. J'ai oublié.
2009. La boîte refait surface. Les miniatures m’indiffèrent toujours autant, mais leur précieux liquide, lui, fait immédiatement friser mon œil. Tous sont de sombres inconnus et donc je me jette dessus avec avidité… Malgré la vilaine tête de certains, le corps est toujours vaillant et le plaisir bien au rendez vous. Je tombe amoureuse : exit les mignonnettes, je veux de vrais gros flacons.
Mon premier coup de cœur fut Adieu Sagesse et avec lui commença ma quête des edt 75ml éditées en 1984. Des extraits aussi. Puis carrément des purs vintages. Je sautai ainsi sur plusieurs flacons et à ses cotés vinrent s'ajouter : Divine folie, Moment Suprême, Câline, Cocktail (qui est une création spéciale pour la collection, fruit d'une orgie entre Cocktail Sweet, Cocktail Bitter Sweet et Cocktail Dry, dont je rêve toujours d'ailleurs.)... Mais surtout Chaldée . Il est celui qui m'a bouleversée. Qui chaque fois fait danser une petite boule bien agréable dans mon ventre. Même une vieille huile solaire fait mon bonheur ! Ce liquide rouge et visqueux, sans aucun indice de protection, je vous en débarrasse volontiers, ma peau blanche et allergique se fiche pas mal des conséquences parfois...
Oui Chaldée est bien celui dont je suis tombée amoureuse, il possède cette chose familière, comme une évidence : une peau à l'autre bout du monde que l'on reconnait entre toutes.
2013. Patou décide de rééditer certaines merveilles de son patrimoine. Joie, jubilation : Chaldée est à
nouveau en production. Temporisation, réflexion : en notre sombre époque de soumission à l'ifra que va-t-il sortir du flacon ? Créé en 1927 par Henri Alméras, il y a peu de chance que le lifting ne soit au rendez vous, et de toute façon un peu de botox devait bien déjà avoir coulé dans son flacon en 84... Peu importe, je fonce... Et je déchante un brin.
J'ai alors mis du temps pour lui pardonner et pouvoir en parler tendrement, ou plutôt en parler simplement et honnêtement.
Voici donc venue l'heure du petit duel au soleil qui agite mon nez, entre "Ma collection" et "Héritage"...
Ma collection 1984 : Chaldée, edt 75ml.
C'est ainsi que Chaldée est présenté dans la boite de miniature : à l'intérieur du couvercle chaque fragrance a droit à quelques mots en guise d'amuse-nez avant le grand plongeon. Autant dire que plusieurs de ces mots ne sonnent guère doux à mes oreilles : Soleil ? J'y suis allergique... Fleurs d'oranger ? L'ennui me guette... Ambré ? Tuez moi avant la vanille... Et pourtant il m'est devenu indispensable...
L'ouverture de Chaldée est un rideau que l'on tire et qui laisse entrer un soleil caressant à travers une vitre encore fraîche. L'effet vert mais tendre d'une jacinthe encore endormie mêlée à la rondeur un peu grasse d'une fleur d'oranger huileuse et solaire. La fenêtre entrouverte laisse un instant tourbillonner fraîcheur renfermée et chaleur moite, rien de tiède, juste un suspens sur qui l'emportera... C'est fugace. Déjà le jasmin offre un coussin charnel et la chaleur gagne doucement. Mais la jacinthe ne lâche rien, elle se réveille même, sa verdeur se fait plus raide, sa fleur découvre un aspect narcotique, entre miel acre et rose fusante. C'est dense, ça monte.
L'ampleur se dévoile. Les fleurs sont toxiques, à la limite du plastique. La jacinthe se fond avec un lilas d'abord un peu jeune et qui au fil de l'évolution mûrit... C'est leurs vies qui s'écoulent. Le narcisse s'invite sur un lit de terre végétale, sablonneuse et blanche, du foin éparpillé ici et là. Une animalité se révèle, lascive et indolente prédatrice. C'est la peau au poudré étonnant qui chauffe au soleil. Oui il y a bien un aspect cosmétique dans Chaldée. Non pas rose/iris typique, mais une sorte de fleur blanche, à peine amandée et poussiéreuse, qui se salit de fausses violettes et de mimosa. Mais sous ce poudré palpite un flux plus organique. Diffus, rien d'ostensible, un appel par le miel. Simplement un ventre qui palpite, la gorge prête à gémir... Puis cette chaleur sombre qui bat et augmente...
L'ambre, totalement contrôlé, semble flirté du coté d'un benjoin transparent... Une sorte de boisé épuré accompagne le mouvement, un fantôme indispensable et pourtant irréel. J'aurais même envie d'entrevoir une esquisse de fumé... Et puis ce fruit étrange, ce fruité plus exactement, qui trempe dans une orange douce, accroche une miette d'abricot et se roule dans la cannelle et l’œillet... Pourtant il est aussi vert et baumé, résineux, il appelle l'opoponax. Un velouté s'incruste dans la peau. Une idée de cuir huilé qui doucement devient plus raide sans pour autant montrer un visage franc. Tout doucement un reste de vanille se dépose, juste une poudre, à peine remarque-t-on l'amande qui l'accompagne. Et toujours cette trace, un peu acre et doucereuse à la fois, cette odeur de gorge sublime de plaisir... Qui rivalise tout de même avec un léger effet, non pas réellement cul du chat, mais pour le moins, son pelage. La peau, la salive, le chat.
Chaldée s'éteint dans la même ambiance que celle où il naît : la chaleur tamisée côtoyant encore une fraîcheur diffuse. Cet effet évite tout écueil de cliché grossier sur les vacances, la plage, le soleil et toute la caravane. Rien de ce que l'on nous servirait aujourd'hui avec un tel brief ne sort de lui. Alors oui la peau chauffe au soleil, le sable roule sous les doigts, le sel s'accroche et donne cette irrésistible envie de lécher le corps... Mais Chaldée est au delà, d'une autre époque, plus sensuelle et féminine, plus assurée et moins démonstratrice...
Tout comme la présentation sur le couvercle, je ne suis pas certaine d'être en accord avec les mots que Patou nous donnait finalement :
Extrait du livret accompagnant la boite des miniatures |
Aucune importance évidemment. Et pour moi Chaldée restera l'odeur d'un corps qui s'étire. Nu, en plein soleil et face au vent. Puis ce corps déroule sa journée entre sensualité et sourire, il se salit, se grise... Il vit.
Collection Héritage, 2013 : Chaldée edt
Aujourd'hui Chaldée est présenté sur le site officiel de Patou de façon bien moins... Disons beaucoup plus sobre, élégante et chic, le bon gout normatif à l'état pur. Bref, "c'est classe" et le site français nous donne donc en anglais ces quelques mots :
..."An oriental, floral, spicy powedery fragrance made up of amber and flowers, spice and opopanax. This daring combination was intensified by the heat of the sun and Chaldée was born. Today's Chaldée is a frangrance which evokes the opulence of La Belle Epoque and a time of freedom and change."...
Nous retrouvons bien l'ambre, les fleurs et les épices... Retrouverons nous Chaldée ?
Le départ est un peu déroutant : vif et bien plus citron/bergamote. Mon nez est envahi par un cif agressif en réalité. Et puis ce vert ultra fluo... Muguet !!! Voici donc ma jacinthe transformée en ersatz de muguet, feuilles vertes écrasées, notes aiguës stridentes. C'est loin de ce que je connais. Est ce que je mets cela sur le compte de mon vintage qui serait quelque peu étêté ? J'en doute, mais je passe outre grâce au bénéfice du doute. Ici tout est plus acide, même la fleur d'oranger se fait moins opulente et grasse, elle est légère, pas encore bébé mais la limite est proche... Il me faut du temps. Pour aérer mon nez, pour reprendre mes esprits, pour arrêter de pester. Mais je commence à reconnaître mon aimé, ça avance...
Le parfum posé il semble tout de même drôlement déguisé : des élément tronqués, d'autres poussés, c'est un peu la foire. Le poudré discret, et surtout parfaitement fondu dans la construction de l'ancien, fait la place belle à une sorte d'Ombre Rose imposante, la verdeur en plus. Et toujours ce truc piquant, comme une sorte de rose à la citronnelle, de géranium bridé au jasmin...Ha oui le jasmin ! Le voici et il porte enfin Chaldée vers ses racines même si tout reste vert et acidulé. C'est joli mais ce n'est pas Chaldée... Du tout...
Il se réchauffe doucement (lentement) et, je ne sais comment avec de telles conditions, il y a bien cet effet salive qui tente de percer, collant les grains de sable contre une peau tiède. Ou plutôt grillée la peau, comme une amande à peine torréfiée. Et deuxième catastrophe : vive le macaron... L'édition 2013 a bien compris l'engouement de la ménagère pour ces petits gâteaux du plus bel effet pour sans doute bien des occasions, et en a fichu dans le flacon... C'est très mauvais pour le bikini pourtant. En toute honnêteté on est loin du gourmand mais c'est tellement incongru de voir l'amande se développer de la sorte... Oui encore une fois c'est joli, mais ce n'est pas l'idée.
Plus l'évolution avance plus le vieux Chaldée reprend corps... Toutefois il est fort contrarié de ne pouvoir exploser à loisir, engoncé qu'il est dans des robes à fleurs virevoltantes. Il reste tapi. Rien ne se déploie réellement. Ses épices sont un mélange éventé, bien léger. En fait il est simplement rajeuni je crois. Plus joyeux, c'est devenu une jeune fille à bicyclette, cheveux au vent avant d'aller à la plage. Je n'y ressens aucune animalité ni sensualité.
Mais une jolie chose arrive : l'aspect aigrelet vert fait place à une acidité toute féminine, une peau moite et propre doucement chauffée par un ambre tamisé, les amandes torréfiées toujours présentes. C'est encore un peu vert (foutu muguet) mais ce n'est plus agressif, juste un peu vif. Ce fond est très joli et le souvenir de Chaldée prend enfin forme, même s'il est un peu délavé, s'il a perdu du corps, il est bien doux de le retrouver. J'approche même enfin de la salive qui semblait ne pas oser. Distillée comme une note cachée, se jouant du nez et des conventions, elle est bien là, accrochée malgré cette modernité hygiéniste. Dans le fond c'est un peu Chaldée...
Finalement je pensais avoir plus de tendresse pour lui. Pris seul il passe plutot bien et me semble assez aimable. Mais il ne soutient aucunement la comparaison. 1984 était sensuel, animal, confortable. 2013 est criard, propre, pointu. Il n'est pas à bouder, loin de là, mais il a tant d'accro à sa formule que cela a changé sa destination. Et puis ce muguet sur ma peau... Il n'y en a pas ? Alors c'est pire...
...Le prochain trio de la collection Héritage annonce Adieu Sagesse... J'appréhende et je suis folle de joie. Suite au prochain épisode donc...
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