Au milieu de certaines marques de niche capables de nous pondre des dizaines de jus par an, à grand renfort de concepts façon publicité luxe pour Whiskas, où les vessies se prennent pour des lanternes et où, accessoirement, on nous prend pour des vaches à lait mono neuronées... Au milieu donc, émergent parfois avec bonheur des oasis lumineuses, des endroits où le parfum est une substance faite de passion et de créativité, où le parfumeur touille ce qu'il aime au delà du cahier des charges d'une fashion so hype, des endroits faits pour la pure luxure du nez.
Bois Lumière, d'Anatole Lebreton vient de là. Et après une première rencontre furtive avec un échantillon et des mois d'attente dans le souvenir d'une main divinement parfumée, me voici enfin en possession d'un flacon.
Mais après tout ce temps passé, j'ai un peu peur d'avoir enjolivé l'histoire, de voir un grand coup de foudre se transformer en petit coup de cœur puis finalement en amitié des plus convenable.
Alors Bois Lumière : que me racontes tu ? Où me transportes tu ?
... Une ouverture radieuse de miel doré, flirtant avec une goutte de vieille liqueur, patinée d'une cire sombre. Escorté d'un cortège aux accents camphrés, sur un accord jasmin/tubéreuse proche d'un fruit, c'est une entrée tumultueuse. Un délice de gourmandise organique, loin de toute forme sucraillonne ou alimentaire. C'est rude et épais, ça vient de la gorge. En fait non, pas épais : il y a cette fraîcheur comme un courant d'air qui évite tout aspect collant, un romarin infusé ? De l'anis ? Ou bien finalement, alors que je voyais un miel de châtaignier, voire de sapin, peut être est ce celui de lavande qui coule, parsemé de muscade douce... Déjà l'immortelle pousse.
Arrive alors un cordon boisé de cèdre qui explose en poussière sous la puissance de cette immortelle. Entre sécheresse et lourde densité. Superbe, rien de curry.
C'est une peau sur laquelle le soleil a cogné, la moiteur de la transpiration et de la salive séchée au vent. Un arrière nez de zan joue sur l'aspect sombre et cuit. Mais toujours cette "fraîcheur" qui se faufile. C'est surprenant. Comme des sortes de flash back de toute une journée, des persistances olfactives venues d'ailleurs, entre ombre et lumière.
Je navigue alors près d'un chocolat noir fondu trop vite, un peu cramé au fond de la casserole, parsemé de grains de framboise, et l'impression d'une trame cassie javellisée. Je suis au cœur d'une forêt transpercée de lumière, gorgée de sève et d'aiguilles de sapin, l'air, balsamique, n'est que tiède mais la terre irradie la chaleur accumulée. Est ce que ce sont des fruits qui éclatent sous mes pas ? Qui sait... Au fil du chemin et des rosiers sauvages, j'arrive près des côtes, fouettées par les vents et les embruns, les rochers sont brûlants et salés, j'ai envie de me fondre dessus. Une traversée végétale et minérale.
Puis organique encore... L'évidence de la cire si précieuse et omniprésente. Lorsque le parfum se tamise, se dépose, c'est une expression du corps qui surgit. Mais là c'est la peau qui exhale, qui s'offre : une odeur de noix et d'iris, l'odeur d'une aine amoureuse, sébum et poil accueillants compris (oui, celles que j'ai croisées sentaient la noix et l'iris, c'est plutôt bien non ? ). Du cagnard descendant émane alors cette réglisse passée au percolateur avec des restes de café, la vieille liqueur de noix renversée qui persiste sur le meuble ciré, un rhizome terreux se desséchant au soleil, un résidu salé de transpiration propre... Il y a, dans ce premier fond, de l'aine culbutée, une tension apaisée où il fait bon enfouir son visage.
... Et il y a enfin le souvenir du parfum... Avec une tenue terrible Bois Lumière ne joue pas les fantômes : il est là, accroché, marc de réglisse à l'immortelle, miellé un peu âcre, fumé à la cire, chaud de benjoin, dépouillé du reste, on retourne dans la foret, le bois dormant, toujours fier.
Où me transporte Bois Lumière ? Au milieu de grands arbres, jusqu'à une côte aventureuse, sous un soleil de plomb.
Ce que me raconte Bois Lumière ? Une histoire de corps que l'on a envie de dévorer...
Bois Lumière me fait aimer le soleil.
Ici c'est celui sans exotisme mais rempli à la fois de fièvre et de langueur lumineuses.
J'envisagerais même la plage grâce à lui... Ça donnerait plutôt ça donc... Accordé ?
Photo: Ellen Von Unwerth |