dimanche 25 septembre 2016

Digression : Iris, Aurokind

Ou devrais-je dire Kewda ? J'y reviendrai.


        Ma réelle rencontre avec l'iris doit dater de cette création de 1999 pour Hermes, par Olivia Giacobetti : Hiris. C'est là que j'ai compris cette note et que j'ai appris à la reconnaître au milieu des innombrables autres qui peuvent l'accompagner dans un parfum. Mon histoire d'amour a alors commencé avec cette "fleur souterraine".
        Et c'est une histoire qui coûte fort chère.
        Si son évocation dans les parfums au registre cosmétique ou classique intemporel est courante et "abordable", et que j'y trouve parfois mon compte avec délice, il s'avère que ce propos n'est plus dans mes désirs d'iris aujourd'hui.
       Car voilà, cet iris je le veux en majesté et non pour farder un masque ou revêtir une chemise en soie. C'est donc là que cela se complique :  Iris Silver mist ? 170€ les 75ml... Purple Rain, Prada ? 250€ les 100ml... L'Heure Promise ? 264,50€ les 75ml...  La mode des parfums de niche joue sans doute un rôle magistral dans ce foutage de gueule financier même si la matière première est exorbitante en soi effectivement. Et chaque année on peut s'attendre à la traditionnelle augmentation de 5€.... Mais bon, pour l'iris déjà en 2007 avec feu Iris Pallida de L'Artisan Parfumeur on était, si mes souvenirs ne délirent pas trop dans les 240€ pour 100ml (puis il fut soldé quelques années plus tard à 40€. Souriez si vous avez payé...). Iris Silver mist, plus ancien (et tout simplement maître divin de sa catégorie), 1994, je l'ai connu au milieu des années 2000 à 105€...

     
     Alors comment ne pas sauter sur l'occasion de découvrir un nouvel iris pour une addition divisée par 100 ?!  Je n'en ai aucune idée puisque j'ai tenté.

Voici l'objet : un étui, avec à l'intérieur un roll-on 5ml, où il est indiqué Iris, Huile essentielle. Alors
oui je souris aussi devant ce liquide à 2,50€ qui me prend un peu pour une buse, moi qui rêve de massage au beurre et de baignade dans l'absolu (quelques dizaines de milliers d'euros le demi litron donc) ... Mais bon finalement on appelle bien du soja "steak" parfois alors pourquoi pas, rêvons tendrement même si déjà on y croit moins...
Et puis il y a aussi inscrit en petit, entre parenthèse, juste sous l'appellation iris le mot Kewda. Aucune idée de ce que c'est (grosse lacune) : nom botanique pour l'iris ? Sans doute pas ! Un mot exotique spirituellement inspiré ? Le parfum (simplifions ainsi la chose) est de la marque Aurokind, sise à Auroville, en Inde, connu pour... A vous de choisir l'ample débat pour la soirée à venir.
Et rien d'autre n'est précisé (si : les précautions blablabla). Impossible de savoir donc ce qu'il y a réellement dans cette fiole, pas de composition autre que HE, Iris et Kewa. Sur la fiole il y a tout de même inscrit : "fragrance blended from fine essentials oils".

 
   

Fleur de Kewda mâle
   

     J'ai alors consciencieusement cherché ce qu'était "Kewda"... Et c'est un extrait distillé issu des fleurs mâles de Pandanus. Il se retrouve effectivement en parfumerie (à priori assez prisé pour les attars) mais aussi en cuisine. J'ai donc appris une belle chose (bien plus en fait du coup), cela vaut déjà bien les 2,50€. (Un tour sur Fragrantica pour aller plus loin sans passer par toutes les pages botaniques, commerciales ou farfelues est parfait pour commencer en fait)
     Mais tout cela ne m'avance pas vraiment beaucoup car je n'ai pas su trouver de renseignement sur le contenu de ma fiole : Huile de kewda "parfumée" à l'iris ? Huile essentielle de Kewda ? Huiles de plusieurs choses parfumées à d'autres choses ?... Tout cela est très spirituel...


                                                                   


                                                                   


                                                                          Alors ça sent quoi ??? Pas l'iris.


      Désolée pour cette introduction totalement nulle et non avenue donc. Mais en revanche ce parfum est terriblement intéressant ! Il joue le jeu répulsion/attraction de façon assez addictive pour moi. Si je dis qu'il pue la cave à roquefort pleine de couronnes mortuaires défraîchies, je ne peux pourtant m’empêcher de mettre mon nez dessus, entre étonnement et satisfaction.
      Le départ me plonge dans une vieille pièce décrépite, voire dans la seule pièce encore debout d'une maison insalubre que l'on tente de sauver. Puis on se met au travail, on ouvre le pot de peinture et là on aperçoit un vase où se décompose des gardénias coupés. On les enlève pour les jeter, un fantôme de fleur blanche effleure la puissance de l'eau croupie et des tiges vertes moisissant, ça se mêle à la peinture, à la poussière, à la terre.
      C'est du Tipex aux champignons, humide et terreux. Ce sont des fleurs puissantes et acres qui malgré leur superbe jeunesse se liquéfient dans la pourriture ambiante, des limites d'ammoniaque se dessinent presque.
      Et pourtant... Sur les ombres de ce qui fut peut être une corbeille de jacinthes aux accents de glycine, piquée de gardénias et de roses, plane une rondeur d'abord sourde : un miel d'oranger. Je n'arrive pas à décider s'il poisse l'affaire ou si au contraire il fait voler les voiles des fantômes.
      L'effet de décomposition s'efface peu à peu, jamais totalement. L'air semble alors avoir subi une sorte de cérémonie purificatrice (oui, c'est Auroville, spirituel...) et des volutes d'encens habitent l'espace. Un encens au sens totalement commun/dévoyé/impropre, pas celui de matière précise, non. Celui fantasmé des boutiques indiennes, un imbroglio d'épices au santal.
      Puis le miel devient presque cosmétique, entre teintes violacées et pourpres, porté par un effet fleur d'oranger huileuse et lourde. Comme si la poussière ambiante tentait de se changer en masque poudré. En vain, elle s'accroche.
      Malheureusement le final se révèle floral et ennuyeux, comme s'il suffisait d'aérer pour que tout se répare.  Mais cette histoire à l'envers était très jolie.

      Et puis... Je le sens cet iris. A travers l'évocation râpeuse et florale, flétrie et aérienne. Il pourrait même venir de la magnifique maison Caron en plein écroulement avec ses accents miellés. Mais ne serais-je pas dans une généreuse exagération rêveuse ?




Flower house, Detroit. Par Lisa Waud, photo Heater Saunders